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Avec des abîmes au milieu

 

L’ÂME

Que faire, mon âme comment la sauvegarder
tellement usée par la méditation?
Mon corps qui à chaque instant l’a portée –
quel haut monticule de désolation !

Combien de corps n’a-t-elle abandonnés
mon âme infidèle, inconsolable?
Finira-t-elle son Voyage dernier
dans ma chair délabrée, misérable?

Je veux connaître tous ses Voyages,
ses auberges, ses éreintements au lit.
Je suis là au bout de quels pèlerinages?
Quelles réminiscences m’ont amené ici?

Le jour où elle a habillé mon corps
et s’est incrustée dans mes veines,
cette âme m’a injecté tous les remords
du sort accablant de la race humaine.

LA GRANDE MAISON

(à Elvana)

Un ange bosselé et bègue et veule
me dicte en bredouillant ma direction.
Que sais-je : m’encourage-t-il ou me crie-t-il “Ta gueule”?
Jamais je n’ai aperçu ses vraies dimensions.

Cadencée par l’anxiété du chemin sans relâchement
ma chandelle dégouline entre mes doigts
et sa flamme, comme une langue de serpent
mordille ma foi.

Devant moi la ruelle obscurcie
alternativement apparaît et disparaît.
Mais l’ange bègue me lance avec ironie:
“Brûle, pour mieux regarder!”

Et la ruelle sombre se recouvre de vapeurs…
je glisse et du coup me retrouve hors saison.
Dans l’ombre, pas moi, non: mon flambeau porteur
touche le seuil de la Grande Maison.

* * *

De loin il parvient le battement d’ailes
d’une musique qui met ma nostalgie en transe… tandis
que la nuit étend sa nappe juteuse pour qu’elle sèche
suspendue au sanglot des phares sur la plage.
C’est une invention que le hasard a voulu m’offrir en prime.
Elle parvient d’un autre temps. Excite ma fantaisie
au sujet de l’immortelle radioactivité de l’être que je fus
et me rend avide de réincarnations,
m’invite à me dissoudre en mille inflexions,
à l’instar de cet attirail débitant ses tonalités tortillées.
Ô âmes ensorcelantes ! Vous, l’avant-garde des anges,
par quel pressentiment êtes-vous échouées dans mon impasse?

SONNET

Je n’ai que faire de toi, ô question-réponse!
Ô, cueillez, cueillez la rosée du matin!
D’innombrables mûres, de merveilleuses fraises
Refleurissent, mugissent dans ton sang, dans le mien.

Je suis la flèche qui vise les pommes vertes, –
Énergie déchue, malentendu divin.
Ô, cueillez, cueillez la rosée du matin!
Ta moitié – question, ma moitié – réponse.

Tu es de la vieille sauce cuisinée à la peur
Ô, cueillez, cueillez la rosée du matin!
Tes mollets – angoisse suspendue à mon coeur –

Philosophie déchue, malentendu divin:
Et l’ombre et la lumière sont tes grandes soeurs,-
Ô, cueillez, cueillez la rosée du matin!

Traduit par Ardian MARASHI